Imprimer la page Job stories, Vous croyez au père noël...

Tous les mois, l'écrivain Brunoh vous offre une nouvelle, qui nous rappelle, au-delà des données macro-économiques, que la recherche d'emploi constitue, avant tout, l'histoire personnelle de millions de femmes et d'hommes… La vôtre, peut-être ?

JOB Stories

La première fois que je vis ce type, il traînait du côté des caddies.

Bonnet rouge vissé sur la tête. Manteau usé, qui avait dû être rouge également, mais tirait désormais davantage vers le vieil ocre. Bottes en caoutchouc rouge. Cheveux filasse, et une barbe poivre et sel qui lui mangeait la moitié du visage.

Il est resté un bon moment à m’observer, pendant que je faisais le plein des véhicules, toujours plus nombreux en ces veilles de fêtes de fin d’année.

J’en étais au quatorzième plein de la matinée lorsqu’il vint m’aborder.

« - Dites, vous l’aimez, votre boulot ? »

« - Comme vous venez de le dire, c’est un boulot. Je sais pas. C’est déjà ça. »

« - Pompiste en 2010, ça fait un peu bizarre non ? » insista-t-il

« - C’est le retour des petits métiers de service, vous savez… Ça me permet de voir du monde, c’est toujours mieux que le chômage. Et puis, les gens sont plutôt sympas. Souvent, ils laissent un petit pourboire, ça aide à supporter le froid… »

« - Et si je vous proposais un autre travail, au chaud et mieux payé ? »

« - Dites toujours… »

« - Vous finissez vers quelle heure ? »

« - Dix-huit heures »

« - Je passerai vous prendre sur ce parking, à toute à l’heure »

Un conducteur impatient venait de me klaxonner.

Le temps que je me retourne, le vieil homme en rouge avait disparu.

Il revint, comme convenu, à dix-huit heures pile, au volant d’un vieil Espace de couleur rouge terne. Pendant que je faisais le plein de son antiquité, je remarquais les lettres manquantes de son sigle, à l’arrière. Il ne restait plus que REN ES

À l’arrière, les sièges étaient envahis par des paquets et des colis de toutes tailles.

Une fois monté à bord, il se présenta enfin.

« - Appelez-moi Noël. En fait, le travail que je vous propose est plutôt… saisonnier. Il nécessite un bon sens de l’organisation, mais si vous êtes bosseur, vous en serez récompensé… »

« - Et ça consiste en quoi exactement ? »

Noël me désigna un vaste entrepôt, situé en contrebas de la route.

Il continua sans ralentir l’allure, et je crus que nous allions nous crasher contre le bâtiment, lorsqu’un sas s’ouvrit, quelques secondes avant que l’Espace ne s’engouffre à l’intérieur.

L’entrepôt était immense, d’une hauteur de plafond impressionnante.

Autour de nous, des millions de paquets étaient disposés sur des racks.

Des dizaines de personnes s’affairaient, formant une chorégraphie parfaitement harmonieuse.

« - Voilà ! » Noël arborait un sourire satisfait « Maintenant, il ne vous reste plus qu’à revêtir la tenue réglementaire – ça fait partie de l’image de l’entreprise – et vous pourrez commencer.

Vous irez en zone deux, celle des emballages cadeaux. C’est toujours là-bas qu’on met les débutants, mais dans quelques jours, on pourra vous faire évoluer… »

C’est ainsi que débuta la plus étrange de mes expériences professionnelles.

J’étais loin d’être un géant, mais je remarquais rapidement, autour de moi, la taille réduite des autres employés…

Mes collègues étant peu bavards, tandis que j’emballais, un à un, les paquets que l’on déposait par dizaines autour de moi, mon esprit divaguait.

Vers vingt-trois heures trente, je commençai à ressentir une grande fatigue : levé depuis quatre heures du matin pour me rendre à la station-service, je n’avais pas eu le temps de faire la moindre pause.

J’envisageais sérieusement de prendre quelques minutes pour souffler, lorsqu’une chose prodigieuse se produisit. Je levai la tête, et vis basculer l’immense plafond de l’entrepôt, cédant sa place à la nuit étoilée. Au même moment, un traîneau de plusieurs dizaines de mètres de long fit son apparition, tiré par des rennes d’une taille si imposante que je n’osais plus faire le moindre mouvement…

J’entendais, au loin, une grosse voix qui nous demandait de charger les paquets.

« - Allez, allez, on se dépêche… NON MAIS JE LE CROIS PAS, VOUS ÊTES EN TRAIN DE ROUPILLER OU QUOI ? »

Je sentis qu’on me secouait vigoureusement.

Lorsque j’ouvris les yeux, Noël était en train de me regarder, incrédule. Autour de moi, j’entendais rire mes ex-nouveaux collègues.

« - Vous croyez que je paye les gens à dormir, ici ? Il y a 1500 commandes Web qui nous sont parvenues en retard à cause d’une erreur de serveur, et tout doit être livré pour le vingt-quatre… On manque de personnel, et j’ai pas les moyens d’avoir des mecs qui dorment au lieu de faire leur boulot. »

J’avais compris le message.

En me levant pour quitter définitivement l’entrepôt, je remarquai alors le badge, accroché sur son polo rouge, juste à côté du logo brodé Amazon.com : Noël LEPEYRE, Responsable logistique.

Visiblement, les comptes de Noël n’étaient pas bons.

(Source : Journal l'offre d'emploi Bourgogne - novembre 2011)

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